La France entame la procédure de ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – Eneritz Zabaleta

En votant, le 28 janvier dernier, la proposition de loi constitutionnelle visant à autoriser la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, la France vient d’entamer le processus de ratification de la Charte. Adoptée le 5 novembre 1992 par le Conseil de l’Europe, et signée par la France le 7 mai 1999, le processus de ratification de la Charte européenne a vécu un processus long et périlleux. Par ce vote à l’Assemblée nationale, la France rouvre un dossier qui semblait clos après le refus présidentiel de ratifier cette Charte en 1999. Toutefois, cette nouvelle voie envisagée par la France pose question, et l’avenir du processus de ratification est encore entouré de doutes et d’interrogations.

La France et la Charte

La procédure de ratification par la France de la Charte a été, à plusieurs égards, un chemin semé d’embuches. Le 7 mai 1999, le Gouvernement de Lionel Jospin avait décidé de signer la Charte, et d’entamer ainsi le processus de sa ratification, étape indispensable pour qu’un Traité international pénètre le droit interne et commence à produire des effets juridiques au niveau national.

La signature de la Charte avait posé les jalons d’un débat houleux, et parfois passionné entre détracteurs et soutiens de cette charte. Au milieu de ce contexte houleux, le Président de la République de l’époque, M. Jacques Chirac, avait saisi le Conseil constitutionnel, afin que ce dernier vérifie la compatibilité de la Charte avec la Constitution. Par une décision du 15 juin 1999, le Conseil posa des verrous constitutionnels importants à sa ratification, en décidant que la Charte portait atteinte, en reconnaissant un droit imprescriptible à des groupes d’utiliser une langue régionale, aux principes constitutionnels d’unicité du peuple français, d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi. Enfin, la Charte contrevenait, selon le Conseil, à l’article 2 de la Constitution faisant du Français la langue de la République.

Tour à tour applaudie ou contestée, cette interprétation fermait la porte à une ratification de la Charte, sauf à réviser au préalable les articles fondateurs du Pacte républicain, proclamant les principes d’égalité du citoyen, d’unicité du peuple et d’indivisibilité de la République. L’obstacle constitutionnel, tel que posé par le Conseil, était d’ailleurs de l’ordre du symbole, puisque le Conseil lui-même reconnaissait qu’aucun engagement souscrit par la France dans la Charte n’était contraire à la Constitution, l’inconstitutionnalité se trouvant au sein de la Partie II de la Charte précisant les objectifs et buts poursuivis par cette dernière, et non dans les 39 engagements concrets que la France s’était engagée à appliquer.

Suite à cette décision du Conseil constitutionnel, la question de la ratification de la Charte était sérieusement remise en question. La révision de la Constitution du 23 juillet 2008 n’y changea que peu de choses, malgré l’insertion d’un nouvel article constitutionnel, l’article 75-1 proclamant que les «langues régionales appartiennent au patrimoine de la France». Ainsi, le Conseil constitutionnel estima, dans une décision de 20 mai 2011, que cet article n’instituait pas «un droit ou une liberté que la Constitution garantit».

La procédure de ratification choisie

Alors que le dossier paraissait clos, à la suite de la promesse électorale faite par le Président François Hollande lors de l’élection présidentielle, la France a décidé de rouvrir la procédure de ratification de la Charte. Un rapport d’information élaboré par la Commission des lois de l’Assemblée nationale a mis en évidence que, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette ratification nécessite une révision préalable de la Constitution.

Suite au refus du Gouvernement de déposer un projet de loi révisant la Constitution, ce sont des parlementaires qui ont décidé d’entamer le processus de révision de la Constitution, afin d’entamer la procédure de ratification de la Charte. La procédure est donc celle d’une proposition de révision de la Constitution où l’initiative est parlementaire. Cela signifie que, pour que la Constitution soit révisée, le texte doit être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Enfin, le peuple doit approuver par référendum le texte voté par les deux Assemblées, afin que la proposition de loi constitutionnelle entre en vigueur. Avec le vote du 28 janvier dernier, la première étape de la révision constitutionnelle vient d’être franchie. Il en reste, cependant, beaucoup avant de voir cette révision entrer en vigueur.

La technique utilisée dans la proposition de loi constitutionnelle est celle de l’autorisation expresse de ratification. En effet, pour dépasser les difficultés constitutionnelles dégagées en 1999 par le Conseil constitutionnel, le pouvoir constituant dérivé a décidé d’autoriser expressément la France à ratifier la Charte. Le nouvel article 53-3 disposerait, en cas de promulgation, que : «la République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires». Il ne resterait plus au président de la République qu’à engager la ratification de la Charte.

La procédure choisie par la France pour ratifier la Charte, pose question. En effet, en choisissant de réviser la Constitution par une proposition de loi constitutionnelle, l’organisation d’un référendum devient obligatoire. Eu égard à la caractéristique particulièrement polémique et clivante dans la société française de la question de la Charte, organiser un référendum sur sa ratification est-il raisonnable ? De plus, la côte de popularité particulièrement peu élevée du Président de la République, M. Hollande, ne risque-t-elle pas de transformer toute initiative référendaire en un gigantesque vote-sanction du peuple contre son Président? En l’état, l’initiative parlementaire de révision constitutionnelle suscite plus de scepticisme que d’espoir.

Dans ces conditions, organiser un référendum sur la Charte paraît très aléatoire, voire illusoire. Les parlementaires à l’origine de la proposition de loi constitutionnelle le reconnaissent, d’ailleurs, dans leur exposé des motifs : l’objectif de cette initiative n’est pas d’aller à son terme, mais plutôt de démontrer, par le vote des parlementaires, qu’il existe une majorité qualifiée de 3/5 prête à voter cette révision constitutionnelle. De la sorte, le Parlement montrerait au Gouvernement son accord pour ratifier la Charte. Cela permettrait au Gouvernement de déposer un nouveau projet de révision constitutionnelle visant à autoriser la ratification de la Charte. Sauf que, dans cette hypothèse, l’organisation d’un référendum ne serait plus obligatoire, et la révision pourrait s’effectuer en réunissant une majorité des 3/5 de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès à Versailles. Dans cette optique, le vote de l’Assemblée nationale le 28 janvier constitue une première victoire, puisque sur 510 suffrages exprimés, 361 ont voté pour la révision de la Constitution, soit une majorité de 70% des députés. Cela étant, la procédure de ratification de la Charte est encore loin d’aboutir, et la route vers une éventuelle ratification est encore longue.

Quelques questions juridiques

La procédure ainsi fixée, plusieurs questionnements affleurent à l’esprit de tout juriste s’étant penché sur la question. Concernant la révision constitutionnelle engagée, le texte même de la proposition de loi constitutionnelle ne manque pas d’interroger. Les parlementaires ne se sont pas contentés d’autoriser la République à ratifier un Traité international, comme cela avait déjà été le cas de l’article 53-2 de la Constitution autorisant la reconnaissance de la Cour pénale internationale. Ils ont assorti cette autorisation expresse d’une déclaration interprétative de la Charte. Cette déclaration, formulée en deux points, précise que la France interprète la Charte de manière à ce que l’emploi du terme «groupe» par la Charte n’ouvre aucun droit collectif à un groupe linguistique d’utiliser une langue régionale, ne contrevenant pas au principe d’égalité tel qu’il est appliqué en France. De plus, la Charte ne s’oppose pas à l’article 2 de la Constitution en application duquel l’usage du français s’impose aux personnes publiques, aux personnes privées exerçant une mission de service public, et aux usagers dans leur relations avec l’administration et les services publics.

Par la sorte, le pouvoir constituant dérivé «constitutionnalise», en quelque sorte, l’interprétation faite en 1999 par le Conseil constitutionnel des articles 1er et 2 de la Constitution. De plus, il fait entrer dans la Constitution deux points qui avaient été rédigés par le Gouvernement lorsque celui-ci avait envisagé, en 1999, de ratifier la Charte. Ce procédé de constitutionnalisation d’une déclaration interprétative, qui est par essence une prérogative gouvernementale dans le cadre du droit international, pose question. Est-ce le rôle d’une Constitution de préciser l’interprétation donnée à un Traité international ? N’est-il pas paradoxal d’autoriser constitutionnellement la ratification d’un Traité international, pour ensuite préciser que ce Traité est conforme à la Constitution ? Ces questions méritent d’être posées.

L’insertion de cette déclaration interprétative a suscité des réactions et des inquiétudes de la part des militants défenseurs des langues régionales. D’aucuns redoutent une interdiction totale d’emploi des langues régionales dans ce qui a été appelée la «sphère publique». Sans aller jusque-là, il est tout à fait légitime de se demander si le Conseil constitutionnel, en se basant sur ces nouvelles dispositions constitutionnelles, ne serait pas amené à modifier sa jurisprudence qui avait ouvert, par exception à la règle générale qui est l’usage obligatoire du français, des champs où l’usage des langues régionales était toléré (enseignement, recherche, médias et usage de traductions). A cet égard, il est bon de rappeler les paroles du Doyen Georges Vedel. Réviser une Constitution ne consiste pas à œuvrer tel un archer qui viserait sa cible, et l’atteindrait comme espéré. Lorsqu’il s’agit de réviser la Constitution, le pouvoir constituant agit plus comme un joueur de billard, qui frappe la boule avec une intention initiale, mais sans jamais savoir quelle trajectoire prendra la boule, et sans savoir précisément quelles seront les conséquences juridiques de sa révision. Concernant la question de la Charte, le pouvoir constituant aurait pu faire preuve de davantage de prudence, nul n’étant en mesure de savoir quelles conséquences juridiques tirerait le Conseil constitutionnel de ces nouvelles dispositions constitutionnelles.

Enfin, sur un aspect plus théorique, les nouvelles dispositions constitutionnelles posent des questions quant à la valeur hiérarchique des différents articles constitutionnels. Avec le nouvel article 53-3, la Constitution disposerait qu’un alinéa constitutionnel, celui autorisant la ratification de la Charte, ne s’appliquerait qu’en respect d’autres articles constitutionnels, les articles 1er et 2 de la Constitution en l’occurrence. Cela signifie-t-il qu’une hiérarchie s’établirait entre différents articles constitutionnels ? Certains articles constitutionnels, les articles 1 et 2 ici, s’imposeraient-ils à d’autres, en l’occurrence le premier alinéa de l’article 53-3, en ayant donc une valeur juridique supérieure ? Est-ce la reconnaissance par le pouvoir constituant d’une sorte de supraconstitutionnalité de certains articles constitutionnels ? Voilà autant de questions juridiques que risquerait de faire naître la proposition de loi constitutionnelle, si toutefois elle entrait en vigueur dans les termes actuels.

Eneritz Zabaleta
Chercheur. Faculté pluridisciplinaire de Bayonne. Université de Pau et des pays de l’Adour.

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