Le 19 février 2021, la ministre responsable des langues officielles au gouvernement du Canada, l’Honorable Mélanie Joly, dévoilait un document de travail en vue de la modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada. On aurait envie de dire : enfin ! Car l’idée circule depuis plusieurs années. En 2018, le Premier ministre déclarait dans un discours que le temps était venu de moderniser la loi; en 2019, il déclarait que cela pourrait se faire dans les 6 premiers mois de son nouveau mandat de gouvernement minoritaire ; et dans le discours du Trône de 2020 (un document officiel qui annonce les priorités gouvernementales pour la session parlementaire à venir), le gouvernement en prenait l’engagement. Un comité du Sénat et un comité de la Chambre des communes avaient rendu des rapports à ce sujet en juin 2019. Le Commissaire aux langues officielles y était allé de ses recommandations le mois précédent ; la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada avait même fait rédiger par un groupe d’experts un projet de loi modèle.
Le 19 février 2021, la ministre responsable des langues officielles au gouvernement du Canada dévoilait un document de travail en vue de la modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada.
La Ministre avait procédé à des consultations extensives à travers le pays. On pensait donc voir le projet de loi fédéral au plus tard en décembre 2020 ; à la place, on a eu droit à ce qui est présenté comme un document de réflexion en vue d’un projet de loi à être adopté avant la fin de 2021.
L’aspect le plus spectaculaire de ces propositions réside dans le changement profond d’orientation de la politique linguistique fédérale. Alors que jusqu’ici, le gouvernement du Canada traitait le français et l’anglais sur un pied d’égalité formelle (les droits accordés pour une langue l’étaient automatiquement pour l’autre), la Ministre a répété publiquement et à plusieurs reprises que c’est la langue française qui est en danger au Canada, incluant au Québec. C’est donc la langue française qui doit être protégée en vue d’atteindre une égalité réelle entre les deux langues, concept réitéré maintes fois par la Cour suprême du Canada dans ses jugements sur les droits linguistiques (notamment dans les affaires DesRochers en 2009, Rose-des-vents en 2015 et Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique en 2020). L’égalité réelle signifie que des mesures spéciales doivent être prises en faveur de la langue désavantagée. C’est un concept provenant du monde des droits de la personne. Les mesures proposées s’inscrivent dans cette optique.
Depuis longtemps, le gouvernement du Québec réclame que les entreprises fédérales présentes sur son territoire soient soumises à la Charte de la langue française.
La proposition la plus audacieuse du document consiste à étendre l’application de certaines parties de la loi aux entreprises privées de compétence fédérale (aéronautique, transport interprovincial, banques, entreprises de télédiffusion) qui font affaire au Québec et dans les régions « à forte présence francophone » – un concept à définir. Les droits accordés consisteraient à recevoir des communications et services de ces entreprises en français, et surtout à permettre aux employés de travailler en français – incluant les réunions, les conventions collectives, les avis et communications internes, etc. Un comité a été mis sur pied pour proposer à la ministre des critères permettant d’identifier les régions hors du Québec où ces droits seraient applicables et penser à des mécanismes de recours faciles et peu dispendieux en faveur des travailleurs. Depuis longtemps, le gouvernement du Québec réclame que les entreprises fédérales présentes sur son territoire soient soumises à la Charte de la langue française. Puisque dans le fédéralisme canadien, la langue d’une activité ou entreprise est une compétence accessoire à la compétence principale sur celle-ci, depuis les arrêts Jones en 1975 et Devine en 1988, il revient au Parlement canadien et non à l’Assemblée nationale du Québec de créer ces obligations.
Les mesures proposées vont des modifications au préambule de la loi (qui peut aider à son interprétation) jusqu’à des modifications plus spécifiques au texte de la loi, ou à l’adoption de nouveaux règlements, ou à des restructurations administratives.
Les propositions sont regroupées en deux thèmes : Promotion du français au Canada y compris au Québec et Réformes des institutions.
Voici, en résumé, les principales propositions, regroupées en deux thèmes principaux :
Promotion du français au Canada y compris au Québec :
– Reconnaitre que c’est le français qui est la langue en danger au Canada, y compris au Québec ;
– Inscrire dans le préambule la reconnaissance des réalités provinciales différentes (Nouveau-Brunswick officiellement bilingue, Loi sur les services en français de l’Ontario, le français langue officielle du Québec, etc)
– Étendre l’application des parties IV (service et communication) et V (langue de travail) de la loi aux entreprises privées de compétence fédérale au Québec et dans les régions à forte concentration francophone
– S’engager à appuyer des secteurs clés pour la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire (immigration, petite enfance, commissions et conseils scolaires de la minorité, santé, culture, justice…)
-S’engager à protéger et favoriser la présence d’institutions fortes pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux (par exemple en finançant des institutions post-secondaires francophones hors-Québec)
– Favoriser l’immigration francophone hors-Québec
– Adopter un règlement cadre pour l’exécution, par les institutions fédérales, des mesures positives en faveur des minorités linguistiques officielles
– Inscrire une obligation de consulter les représentants des minorités linguistiques officielles avant de prendre des mesures qui les concernent
Réformes des institutions
– Inscrire dans la loi l’obligation de nommer des juges bilingues à la Cour suprême du Canada
– Recueillir plus de données, de manière continuelle, sur la vitalité des communautés par l’entremise de Statistique Canada
– Inscrire le rôle du Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications canadiennes (l’organisme fédéral qui réglemente la radio-télévision) dans la promotion du français
– Inscrire dans la loi l’importance de l’adhésion du Canada à l’Organisation Internationale de la Francophonie
– Inscrire dans la loi le rôle particulier de Radio-Canada (la télévision publique de langue française) dans la promotion et la diffusion de la culture francophone partout au pays
– Augmenter les pouvoirs du Commissaire aux langues officielles, notamment en lui donnant le pouvoir de conclure des ententes obligatoires avec des institutions qui contreviennent à la loi, et celui de décerner des ordonnances susceptibles d’’être enregistrées comme des jugements de la Cour fédérale
– Augmenter les pouvoirs du Conseil du trésor (l’organisme central qui gère les budgets de la Fonction publique) et lui donner l’autorité d’obliger les institutions fédérales à se conformer à la loi, en leur imposant par exemple des pénalités financières au cas de non conformité
– Créer un cadre obligatoire de reddition de compte des institutions fédérales, des gouvernements provinciaux et des entités privées en vue du suivi des dépenses fédérales dans le domaine des langues officielles.
Le document a été reçu positivement au Canada, mais si des élections sont déclenchées, on devra attendre leur résultat avant de pouvoir tenir dans nos mains un vrai projet de loi.
Une expression connue dit : « le diable est dans les détails ». Tant qu’on ne verra pas le texte du projet de loi, tout ceci demeure au rang des nobles intentions. Le document a été reçu positivement au Canada, mais au moment d’écrire ces lignes, de persistantes rumeurs d’élection agitent la capitale fédérale. Si des élections sont déclenchées, on devra attendre leur résultat avant de pouvoir tenir dans nos mains un vrai projet de loi. Il n’empêche que ce document révèle les intentions fédérales à l’aube d’un exercice semblable pour la Charte de la langue française du Québec, dont le gouvernement québécois annonce une révision pour juin 2021. La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick doit, elle, être révisée en 2022. Il est possible que la Loi sur les services en français de l’Ontario fasse aussi l’objet d’une révision l’année prochaine. Au moins deux universités francophones hors-Québec (l’Université Laurentienne au nord de l’Ontario et a Faculté Saint-Jean en Alberta) sont en très graves difficultés financières en raison d’importantes coupes dans leur financement provincial, tandis que l’Université de l’Ontario français, établie à Toronto, peine à recruter une clientèle étudiante. Le débat linguistique canadien n’est donc pas terminé !
Pierre Foucher
Professeur à la retraite, Université d’Ottawa
Références :
Le rapport du comité de la Chambre des communes sur la modernisation de la Loi :
Le rapport du comité du Sénat sur la modernisation de la Loi :
Le rapport du Commissaire aux langues officielles sur la modernisation de la Loi :
La proposition de loi de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA)
La jurisprudence mentionnée (en ordre alphabétique) :
Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique c Colombie-Britannique, 2020 CSC 13
Desrochers c Canada, 2009 CSC 8, [2009] 1 RCS 194
Devine c Procureur général du Québec, [1988] 2 RCS 790
Jones c Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 [RCS] 182