Le français, seule langue de l’Assemblée de Corse ? – Sébastien Quenot

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Saisi par le Préfet de Corse, le 9 mars 2023, le tribunal administratif de Bastia a annulé le règlement intérieur de l’Assemblée de Corse pourtant adopté à l’unanimité des 63 conseillers territoriaux le 16 décembre 2021.

Le motif avancé par l’Etat et son représentant en Corse repose sur un principe fondamental qui traverse tous les régimes politiques de la France, de l’Ancien régime monarchique précédant la Révolution française à la Ve République contemporaine. Depuis 1992, il est même gravé dans le marbre de la Constitution et dans un pays qui sacralise le monolinguisme, il s’énonce comme un psaume. « La langue de la République est le français ». Le singulier de l’énoncé n’admet point l’existence d’autres singularités. L’acception si insolite de l’universalisme français se fait au détriment de l’acceptation de la diversité linguistique de la France. La communauté politique surplombe les communautés linguistiques jusqu’à obtenir leur assimilation après un laminage aussi absolu que résolu visant à faire du français la seule langue de la Corse.

Dès lors, compte tenu du droit français, le Préfet comme le Tribunal administratif avaient-ils d’autres choix que d’invalider l’article du règlement intérieur de l’Assemblée de Corse disposant que « les langues des débats de l’Assemblée de Corse sont le corse et le français » ? Cette péripétie administrative vient rappeler que la question linguistique figure encore et toujours dans l’agenda politique de l’Etat. Face au tollé suscité par cette décision et dans un contexte de négociations quant au futur statut de la Corse, peut-on attendre une révision de l’article 2 de la Constitution française ? La France est-elle prête à revoir son modèle de citoyenneté ? Il faudrait pour cela obtenir un vote des trois cinquièmes des parlementaires français. Le Président Macron ayant déjà exclu la langue du processus, l’hypothèse n’est-elle pas à écarter ?

  Alors, si la lutte pour la reconnaissance est fondamentale dans la normalisation de la langue corse, peut-être faudrait-il encore que les institutions corses montrent l’exemple.

Alors, si la lutte pour la reconnaissance est fondamentale dans la normalisation de la langue corse, peut-être faudrait-il encore que les institutions corses montrent l’exemple. Depuis son installation en 1982, des élus de tous bords ont toujours parlé corse à l’Assemblée de Corse. Ils ont même délibéré en faveur d’un projet de coofficialité en mai 2013. Deux ans plus tard, Jean-Guy Talamoni, le premier Président indépendantiste de l’Assemblée de Corse devait prononcer son discours d’investiture en langue corse, suscitant à la surprise générale sur l’île, un tollé à Paris, où les politiciens de tous bords dénoncèrent le fait qu’il eut été prononcé en corse, conformément aux orientations politiques du mandat conféré par les insulaires. Le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls devait alors poser des « lignes rouges » sur la langue, le statut de résident ou bien encore l’amnistie des prisonniers politiques. Depuis lors, hormis quelques emplois sporadiques dans l’hémicycle lorsque la langue corse est à l’ordre du jour, l’intégralité des discours comme des rapports du Conseil exécutif sont présentés en français. Seul le titre figure en version bilingue français-corse, relativisant ainsi la portée réelle de la décision du tribunal administratif. Tout comme les réseaux sociaux, ou bien encore parfois les toponymes employés par ses services, à l’exception de quelques titres, le site Internet de la Collectivité de Corse est monolingue, en français.

  Au lycée, depuis une réforme datant de 2018, le corse bénéficie d’un statut inférieur à celui des langues anciennes que sont le latin et le grec.

La situation n’est guère plus reluisante ailleurs. Dans l’enseignement primaire, 1% des élèves suivent un enseignement immersif et 45% un enseignement bilingue. Dans le secondaire, les filières bilingues accueillent environ 15% de élèves, dans des conditions hétérogènes d’un collège à l’autre, tant et si bien qu’à l’issue de la scolarité obligatoire, seule une poignée de jeunes devient corsophones. Au lycée, depuis une réforme datant de 2018, le corse bénéficie d’un statut inférieur à celui des langues anciennes que sont le latin et le grec. En dépit de la création d’un parcours de spécialité, il voit ses effectifs s’effondrer. Même la création des écoles immersives associatives ne donne pas lieu à la transformation annoncée. Elles pourraient bénéficier d’un fort dynamisme par le lancement d’appels à projets sur l’ensemble du territoire. À la rentrée 2022, on dénombrait trois sites pour cinq classes de maternelle.

Quant aux autres secteurs de l’éducation populaire et de la socialisation de la jeunesse, le réseau associatif notamment animé par Praticalingua se densifie mais se heurte à sa spécialisation culturelle. À l’exception de quelques crèches, les clubs de football, de danse, de boxe ou d’équitation proposent des activités exclusivement en français. En ce domaine pourtant, la Collectivité de Corse est compétente et pourrait conditionner ses aides publiques tout en accompagnant les animateurs dans l’apprentissage et l’usage du corse auprès des enfants. Il en est de même dans les médias où les programmes de jeunesse sont encore trop peu accessibles sur les plateformes, à l’exception d’Allindì qui met à disposition les dessins animés traduits par l’association Fiura mossa. Le plan Lingua 2020, adopté sous une mandature de gauche en 2015 est toujours en vigueur et présente un taux de réalisation extrêmement faible au regard de l’urgence linguistique attesté par les enquêtes sociolinguistiques de 2013 et de 2022. La Charte pour la langue corse lancée en 2007 auprès des institutions publiques et des entreprises se limite trop souvent à la mise en exergue trop aisée de titres en langue corse qui ne communiquent plus qu’une forme consensuelle de corsitude lorsqu’une langue vivante devrait pouvoir tout exprimer. L’Université de Corse doit aussi prendre sa part à l’opération de normalisation. Par le projet Atlas (Application et Transfert pour L’Aménagement Sociolinguistique), elle va former les acteurs publics et privés à la mise en place de planifications linguistiques. Elle élabore également une méthode d’apprentissage du corse en ligne, Gymcorsu. En juin prochain, elle mettra à disposition du grand public un dictionnaire comprenant plus de 7 000 néologismes. En outre, elle demeure très impliquée dans l’animation littéraire et culturelle de l’île.

  Il en va de la survie de l’expression d’une identité culturelle singulière en Méditerranée autour d’une langue parlée par environ 120 000 locuteurs.

Ainsi, en dépit du consensus déclaratif sur l’île relatif à la langue, en matière de loyauté linguistique, on attend encore une politique linguistique volontariste, bousculant lois, circulaires et règlements, contournant les instances étatiques de socialisation et irriguant les réseaux fréquentés par les plus jeunes générations. Par-delà cette polémique qui libère du ressentiment face au mépris et qui réactive des logiques de conflit, puisse cet évènement engager résolument toutes les institutions corses dans la mise en œuvre d’une politique linguistique totale de lutte pour la reconnaissance. Il en va de la survie de l’expression d’une identité culturelle singulière en Méditerranée autour d’une langue parlée par environ 120 000 locuteurs, plutôt qu’autour d’autres oripeaux plus à risque comme la religion, l’ethnicité ou la seule marchandisation de biens investis de pouvoirs identificatoires qui amalgament l’être et l’avoir.

Sébastien Quenot
Università di Corsica Pasquale Paoli

2 respostes a “Le français, seule langue de l’Assemblée de Corse ? – Sébastien Quenot

  1. […] dels no-catalanoparlants a Catalunya, i controvèrsies com les que s’han generat al voltant de la prohibició de l’ús del cors a l’Assemblea de Còrsega o la creada al voltant de la Llei 13/2022, de 7 de juliol, general de comunicació audiovisual. Per […]

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